Elle souffre ... [ Cancer du sein ]
“Cela fait un bon moment que
j'attends ta visite! Aïd Mubarak!” dit-elle en souriant.
Je la regardais, un peu inquiète. Je
cherchais le “Pourquoi ?” . Je me rappelle que je lui ai déjà
rendu visite lorsqu'elle a été opérée, c'est vrai que c'était
bref .. il y avait trop de monde ce jour là, elle était fatiguée
et je ne voulais pas en rajouter.
“Aïd Mubarak ! J'espère que tu te
sens mieux.”
“Incha Allah .. Je voulais te
montrer un bilan. Je n'ai pas compris les abréviations, ni ses
implications thérapeutiques.”
Je me sentais un peu stressée; je suis
face à un exercice très délicat, je dois choisir les bons mots, le
bon ton, et cacher mon éventuelle pitié (chose qui m'échappe assez
souvent) sinon elle risque d'éclater en sanglots.
“Tiens! Le voilà. Tu peux
m'expliquer même si c'est compliqué . Je me rappelle encore du
cours de physiologie concernant les hormones féminines, je connais
la LH et la FSH .. la progestérone et l'oestrogène .. Je ne comprends
pas pourquoi les médecins ne se concentrent que sur les deux
dernières lignes.”
Je lis les différents documents
qu'elle garde soigneusement dans une petite chemise.
Soulagée, je souris. Je n'ai pas à
lui mentir.
Je m'apprête à parler mais elle
m'arrête brusquement : “écoute! N'essaye pas de me consoler, ni
de me remonter le moral. Dis-moi la vérité. J'ai déjà eu le
choc, maintenant je le sais : j'ai un cancer du sein. J'ai supporté
la chirurgie et je vais bientôt commencer la chimiothérapie,
alors je n'ai plus rien à perdre. Je suis prête à tout.”
Sa remarque m'a fait mal. Je sentais
comme un courant qui me parcourait. Je lisais le désespoir dans ses
yeux, l'amertume dans ses paroles et la mélancolie dans ses traits.
Elle essaye de se montrer forte, mais
elle me semble tellement vulnérable. Je le sens, je le sais.
“Non, je ne vais pas te consoler. Il
n'y a pas de métastases à distance. La tumeur est de 1.8
centimètres. Les récepteurs hormonaux intratumoraux sont positifs. Ce sont des éléments de bon pronostic, incha Allah.”
Les larmes aux yeux, le visage détendu, elle sourit d'un air reconnaissant.
Je la trouvais belle, innocente, et
encore plus jeune.
Jeune.. Elle l'est déjà:
elle n'a que trente six ans.
“Leïla, je veux demander ton avis. Je
veux consulter un psychiatre, je déprime, je suis tout le temps
pessimiste. Je ne pense qu'à la mort. Je vois maman partout où je
vais, je me rappelle constamment d'elle, tu sais qu'elle est décédée dans les mêmes circonstances.
Mon mari, mes soeurs et tous mes
proches me demandent d'oublier, de penser à autre chose, mais c'est
plus fort que moi. Quand je vois ma fille de six ans, et mon petit
bout de choux, j'ai envie que ce soit un cauchemar et qu'un jour je
me réveillerai pour me retrouver avec eux, en bonne santé.
Je sais que c'est mon destin, mais c'est difficile à vivre. Je me
sens désespérée.”
Qu'y a-t-il de plus naturel?
“Ne te préoccupe pas de ce que pensent
les autres. Personne ne peut se mettre à ta place et imaginer ce
que tu éprouves. Je te le conseille vivement, l'assistance
psychologique ne te feras que du bien. Un cancer n'est pas une
maladie facile à accepter, ce que tu ressens est tout à fait
légitime. Fais le, tu ne le regretteras pas. Et n'oublie pas de prier. ”
“J'en suis vraiment reconnaissante.
Merci infiniment. Qu'Allah te protège.”
Me voilà en voiture, en route vers ma
maison. Je me rappelais du cours qu'on a eu à la faculté sur le
cancer du sein, avec sa fameuse introduction qui nous semait la
terreur “Une femme sur onze aura un cancer du sein. Une sur deux en
mourra dans les cinq ans.”
Je ne pensais qu'à elle, ses mots se
répétaient dans ma tête comme des échos, ses gestes, sa mimique,
ses soupirs. Je redessinais le tableau, triste, confuse et
reconnaissante, mais surtout satisfaite. Al Hamdou lillah.
“Confie-nous tes tourments et parle
en toute liberté. Un flot de paroles soulage le coeur de ses
chagrins; c'est comme ouvrir la vanne lorsque le barrage du moulin
est trop plein.”
“La démonstration la plus frappante
des pouvoirs cliniques du soutien émotionnel est sans doute fournie
par des groupes de femmes souffrant de cancer avancé du sein.
Cliniquement parlant, ses femmes étaient condamnées à plus ou
moins brève échéance. Le Dr David Spiegel, qui a conduit cette
étude à l'Ecole de médecine de Stanford, a été aussi stupéfait
par ses découvertes que le monde médical: les femmes qui
participaient chaque semaine à des réunions de discussion avec les
autres survivaient deux fois plus longtemps que celles qui
affrontaient seules leur maladie.”
(Daniel Goleman, L'intelligence émotionnelle)
(Daniel Goleman, L'intelligence émotionnelle)
9 commentaires:
Enregistrer un commentaire