Médaille d'Or pour la Syrie ..
Après un dîner copieux, vient mon moment préféré de la journée : celui de savourer un délicieux café devant la télé. Une dizaine de minutes de détente avant de retourner à mes papiers, à ma révision qui, en médecine, ne finit jamais.
Je voulais regarder l’évènement du jour, de l’année : la cérémonie d’ouverture des jeux olympiques. J’étais
curieuse, excitée.
Depuis que je l’ai regardée en 1996, aux JO d'Atlanta, je ne laissais plus échapper ces magnifiques
spectacles, soigneusement préparés, parfaitement présentés et réalisés.
Cela m’a toujours impressionnée. J’avais les larmes aux yeux à chaque fois que je regardais ce gigantesque
rassemblement, où toutes les ethnies, toutes les religions, toutes les
couleurs se mélangent, s’unissent, se fondent, se confondent, oubliant, pour un instant leurs différences, leurs
conflits.
Maman n’apprécie pas tout ceci, elle pense que c’est simplement de
l’argent gaspillé et qu’on aurait pu
construire des hôpitaux et des écoles dans les pays sous-développés avec toutes
ces fortunes dépensées, parties en fumée.
Son avis m’indisposait en quelque sorte, j’étais un être messianique
à l’époque. Maintenant, je réalise que maman avait raison et que je
délirais.
Me voilà, en train de chercher une chaine Britannique. Je ne
veux plus écouter les animateurs Français.
Avant d’arriver à
destination, le hasard. (Ah non ! je n’y crois pas ! c’est plutôt le
Destin !) , le destin a fait que je passe avant par les actualités :
cent martyrs en Syrie... Je n’ai pas pu zapper, par respect.
C’est énorme comme chiffre, et pourtant, on finit par s'y habituer.
Je ne comprends pas par quel mécanisme le cerveau humain (s’il l’est vraiment)
s’adapterait à de telles atrocités ? Chaque jour, on voit des morts par
dizaines, des blessés, des corps
déchiquetés, des maisons détruites, des réfugiés. Et notre réaction stéréotypée
devient paradoxalement de plus en plus atténuée : un long soupir, une
petite prière prononcée du bout des lèvres... Et puis on zappe allez !
Ce jour là, j’ai vu des gens de la ville d'Alep, faisant
la queue devant une boulangerie. Une queue tellement longue que, vers la fin,
elle s’incurvait et tournait pour former une deuxième ligne parallèle. Des
hommes et des enfants attendaient impatiemment leur tour, pour avoir quoi
manger après une énième pénible journée de jeûne, de défis et de
conflits ; de peine, de peur et de pleurs.
En ce même instant, un milliard de personnes étaient plantées
devant leurs écrans, à regarder.. Mr Bean !
Pour une fois, je ne
l’ai pas trouvé drôle du tout. Il était même d’une incroyable débilité.
Durant une dizaine
de minutes, j'ai regardé nonchalamment le spectacle, malgré les danses,
les jeux de lumière, je ne pouvais rien
savourer .. même pas mon délicieux café.
Je me suis rappelée de mon prof Syrien, quand je lui ai
demandé, moi et mes amies, si on pouvait envoyer des aides aux familles
coincées dans la ville de Homs. Il nous a répondu que la situation était
délicate, et que le régime syrien empêchait les aides humanitaires d’y
parvenir.
« Alors que pourrions-nous faire ? » ai-je demandé.
« Vous pouvez toujours prier !»
C’était la réponse que je ne voulais pas entendre, je me
sentais frustrée. Encore ce sentiment d’impuissance qui m’accable et que je
hais ! Même si le fait de prier m’a toujours été une arme, je sais qu’un
jour tout ceci finira, mais entre temps je voulais faire quelque chose de différent.
Mr Bean courait sur la plage, faisant les mêmes grimaces,
qui, jadis, me faisaient (bizarrement) rire.
Cette soirée là, je le trouvais superficiel, artificiel, stupide, burlesque!
Je voulais voir les
équipes participantes, venant des quatre bouts du monde, mais c’était encore le
début du spectacle. Je songeais : qui parmi ces milliers d’athlètes,
gagnera une médaille d’or ? Un tunisien ? Un égyptien ? Oh, j’aimerais tant que ce soit un palestinien !
Et après ? Est-ce d’une médaille d’or qu’ils ont
vraiment besoin ?
Je plongeais dans de profondes réflexions, je ne voyais plus
rien de ce qui se passait. J’étais
finalement triste et dégoutée. La seule image que je garde devant
mes
yeux est celle de la longue queue incurvée chez le boulanger. Patienter
des heures durant, debout, la gorge sèche, le coeur battant, pour un
petit bout de pain n'est-ce pas une réelle performance ? Une catégorie hors qui mérite la médaille d'or ?
Oh que oui!
la médaille d’or qui la mérite ? C’est le peuple de la Syrie, c’est cet
enfant courageux et inquiet, cet homme fort et indigné, cette femme
brisée mais déterminée.
Comment se fait-il que la vie d’un être humain soit de cette insoutenable légèreté ?
J’ai éteint la télé.
En ce mois de Ramadan, je préfère plutôt aller prier.
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